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Extra-territorialité : un problème de logique ? Pas seulement

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Cela reste l’un des plus grands mystères de l’univers du livre numérique : son prix. Il a déjà été longuement (et souvent) question de la faible différence avec le prix du livre papier. Beaucoup moins de la provenance géographique du livre. Ce facteur a pourtant une réelle influence sur le cout supporté par le lecteur d’une part, et sur les libraires de l’autre.

Une posture historique

Petit rappel des faits : en 1981, la France adopte la Loi Lang, du nom du ministre de la Culture de l’époque. Cette loi impose le prix unique du livre. Elle « limite la concurrence sur le prix de vente au public du livre afin de protéger la filière et de développer la lecture« .

En 2010, le gouvernement français veut étendre le prix unique du livre au livre numérique. Une clause d’extraterritorialité est prévue dans le projet de loi. Puis retirée suite à un avis défavorable de la Communauté européenne. Et enfin réinsérée avec l’appui de Frédéric Mitterand, alors ministre de la Culture en fonction (et qui en profite pour changer radicalement d’avis) : « Il est normal que les éditeurs puissent contrôler la valeur du livre quel que soit le lieu d’implantation du diffuseur. Il faut que la compétition se joue à armes égales : il serait paradoxal que certaines plateformes échappent à la régulation« .

La loi du Prix Unique du Livre Numérique (PULN pour les intimes) voit donc la clause d’extraterritorialité s’étendre aux distributeurs basés à l’étranger (ce qui inclut donc les géants américains disposant d’implantations en Europe).

Les mauvais réflexes

Le web avait déjà dématérialisé les frontières, le livre numérique a dématérialisé l’objet lui-même. Alors, bon sang, que vient donc faire là cette question de territorialité ?

Et bien, ce qu’on oublie souvent, c’est que « dématérialiser » ne signifie pas « supprimer ». En tout cas, pas juridiquement.

Derrière tout ça se cache une question de droits évidemment. Les sites de ventes de livres n’ont, en effet, pas le droit de vendre les livres d’un éditeur sur un autre territoire que celui pour lequel l’éditeur en question a acquis les droits. Un site ne peut donc pas vendre,  en dehors de l’Hexagone, un livre dont l’éditeur n’a acquis les droits de diffusion que pour la France.

Comment cela marche-t-il en pratique ? Les sites se fondent sur la nationalité de la carte bancaire qui sert à régler l’achat. Tout simplement.

Une situation parfois difficile à comprendre sur le web.

Le modèle économique pour la vente de livres numériques tarde à apparaitre clairement. Mais rester sur des systèmes nationaux, dans un marché web globalisé, semble terriblement anachronique.

Alexis Chaperon du Larrêt est responsable New Business pour les librairies Club : « Les éditeurs qui se mettent à faire du livre numérique ne sont pas issus du web, ils sont issus du livre. Ils appliquent donc des formules qu’ils connaissent, mais qui ne sont sans doute pas adaptées à l’univers dématérialisé. Ils mettent en place des systèmes qui sont aberrants pour des familiers du net. Ils n’ont simplement pas de culture web. Leurs approchent ne me semblent d’ailleurs pas probantes.« 

Une histoire de mauvais réflexes en quelque sorte.

Heureusement, il y a les pures-players : « ils ont une approche mixte, connaissent le livre, et surtout, sont taillés pour, et par, le web. Ils font du meilleur boulot, mais ont du mal à se faire connaitre et reconnaitre par le sérail« .

Le vrai problème : la TVA

Pour Alexis Chaperon, de toute façon, le débat autour du PULN est l’arbre qui cache la forêt : « le vrai problème de la vente de livre et de l’extraterritorialité, c’est la TVA« . Non harmonisée au niveau européen, elle est de 21% en Belgique, 7% en France et de seulement 3% au Luxembourg. « Quel que soit l’acheteur, belge ou étranger, je paie, en tant que libraire belge, 21% de TVA. Ce qui n’est pas le cas des libraires français, ou, pire encore, d’Amazon qui est basé au Luxembourg » explique Alexis Chaperon. C’est la raison pour laquelle, en Belgique, les libraires ne s’intéressent pas à la vente de livres numériques : c’est loin d’être rentable.

Pas rentable certes. Notez tout de même que ça n’empêche pas Club de proposer ce service : « On se sent obligé, les clients le demandent, c’est dans l’air du temps. Si je ne le fais pas, mes clients iront chez Amazon« .  Mais les ventes progressent vite : « pour le moment, le numérique représente, sur le marché français, 2 à 3%. Il y a un an, il était à moins d’un pour cent. On peut imaginer le voir entre 5 et 10% d’ici 2015. On ne pourra pas se passer de 5 ou 10% de vente » admet le spécialiste de chez Club.

Avec des chiffres de cette ampleur, les éditeurs devront trouver une solution à ce problème d’extraterritorialité. Il est nécessaire de faire évoluer les mentalités, de se détacher des logiques et réflexes de la vente physique. On ne vend pas un fichier comme on vend en objet préhensible.

Les pure players ont là une belle carte à jouer, eux qui maitrisent si bien l’environnement web dans lequel ils évoluent.

Mais, avec toute la bonne volonté du monde, ils ne pourront pas faire grand-chose tant que la TVA ne sera pas uniforme au niveau européen. Et là, il faut s’interroger sur la capacité des lobbys de l’édition à amener les eurocrates à se pencher sur la question. À ce sujet, rien n’est gagné d’avance.

Martin Boonen

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